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Arbre et Croix
Le haut plonge ses racines dans le bas

- Alexandre Grothendieck

L’âme du village, protectrice et salvatrice, pour échapper à la superficialité des villes mécaniques et tristes, dévorées par la modernité.

- Lucian Blaga -

Grandeur et décadence :

À l’Est de l’Union Européenne, on trouve encore de petits villages où les traditions conservées revivent au rythme des saisons et des fêtes païennes. Mais cette vision cyclique de l’existence est incompatible avec notre vision structurée sur des notions de progrès et de croissance infinie. L’arrivée du libéralisme marchand a ainsi désintégré ces sociétés authentiques qui ont basculé dans la modernité déculturée d’une société de consommation. C’est une attaque contre la biodiversité (déforestation massive, exploitation intensive, autoroutes) mais c’est aussi une attaque contre la diversité des cultures (disparition des villages). Ce que le communisme avait su préserver fond comme neige au soleil pour enrichir les investisseurs du Far West et de l’Ouest.

Cas de la Roumanie, exemple du Maramures :

En ce qui concerne la Roumanie. Juste après la chute du régime Ceaucescu (en 1989), les roumains avaient su conserver leur authenticité et un mode de vie ancestral tout à fait fascinant : travaux agraires à la force animale, famille fauchant à la main les champs, tenue traditionnelle portée avec soin, … la population a aussi su conserver de nombreux rites païens liés à la nature et aux grands cycles de vie. Hélas tout cela s’estompe à cause de l’influence de la société de consommation.

    

Prenons l’exemple du Maramures, une région où 40 % de la surface est encore recouverte de forêts, certes c’est moins que les 90 % d’il y a une centaine d’années, mais c’est encore largement suffisant pour abriter une biodiversité abondante. On y trouve ainsi toute la grande faune européenne et en particuliers les trois grands prédateurs le lynx, le loup et l’ours. Cette identité et cette nature pluri-millénaires étaient encore intactes avant l’arrivée du libéralisme occidental. Mais sous l’impulsion de l’Union Européenne et du Fonds Monétaire International, ce peuple traditionnel de type archaïque s’est laissé entraîner vers un modèle supposé " de progrès ". De surcroît, ce nouveau paradigme que les peuples de l’Europe de l’Ouest avaient construit progressivement en trois quarts de siècle, devait apparaître dans cette région enclavée en quelques années seulement. Le résultat fut désastreux.

    

En réalité, les Maramureseni se considèrent comme descendants directs des tribus Daces qui ont su rester libres : ils ont résisté à l’invasion romaine, ils ont résisté à l’acculturation chrétienne, ils ont résisté au communisme - pas de collectivisation des terres, pas d’urbanisation forcée de leur campagne - et aujourd’hui ils se font aspirer par une prétendue " modernité technologique ". 
Les Maramureseni ont toujours été écologiques au sens profond du terme. Ils vivent dans un contexte naturel de temps cyclique : leurs fêtes et leurs poésies expriment un rapport à la nature très intense et leur vision du monde est beaucoup plus proche du paganisme que du christianisme.

"Hora ", danses du printemps et chants associés, - de véritables incantations à la forêt et aux fleurs -

 

Déclin d'une société harmonieuse et d'un environnement protégé : 

Cette vision cyclique de l’existence, représentée par le déroulement des saisons, est complètement incompatible avec la vision profondément structurée sur les notions de " progrès " des sociétés modernes occidentales où on pense, à tort, que chaque jour sera mieux que le précédent et que la croissance est infinie.

    

Le régime matérialiste de Ceaucescu a combattu sans succès ces pratiques archaïques perçues comme un frein au développement économique et, finalement, c’est le système libéral porté par l’occident qui anéantira ces précieuses cultures ancestrales. La jeunesse ne s’intéresse plus qu’au rock ou aux " manele " (musique tzigane influencée par le disco, le rap, la pop et la musique turque), les danses populaires, les rites des anciens, tout est oublié. On assiste à la désintégration d’une société traditionnelle qui bascule dans la " modernité " d’une société de consommation.

    

Mais de quel progrès s’agit-il ? Vers quelle modernité va ce peuple ? rien de vraiment concret, rien de vraiment profond, uniquement une frénésie de l’innovation et du changement, une sensation d’être " heureux " comme à l’ouest. Plus de repères comme avant, plus d’équilibre entre les contraires (jeunes et vieux, communauté et individu, nature et urbanisme). Auparavant, la nature était respectée comme un partenaire qu’on aime et non pas comme un ennemi dont on veut profiter. Le village et ses habitants étaient en osmose avec le milieu et l’environnement.

    

Perdus dans ce nouveau monde qu’ils ne comprennent pas, eux les descendants des Daces, eux qui défiaient la mort comme de vrais païens (repas à la table des morts dans certains cimetières, décoration du cimetière joyeux de Sapinta, etc.), eux qui étaient libres se soumettent maintenant aux nouveaux protocoles orthodoxes dont les églises diffusent la messe par haut-parleurs dans les campagnes (modernité oblige).

    

Au niveau économique, les équilibres fragiles qui se sont établis au cours des siècles s’effondrent, on passe brutalement d’une économie locale à une économie mondialisée. On passe d’une économie de subsistance à une économie d’exportation et le produit choisi pour équilibrer la balance commerciale et rapporter des devises : c’est bien sûr le bois, très abondant dans cette région. L’exploitation devient intensive, destructrice, irresponsable. Auparavant, le bois servait uniquement à se chauffer et à fournir les matériaux pour réparer les habitations ainsi que pour la sculpture d’objets décoratifs et artisanaux. Aujourd’hui, l’état punit comme hors la loi quiconque prendra du bois dans la forêt sans autorisation et les prix deviennent tellement élevés à cause de l’économie de marché que les habitants doivent renoncer à leurs traditions.

    

Sur le plan écologique, c’est une catastrophe : la surexploitation et les coupes rases défigurent les montagnes et provoquent des ravinements. De nombreuses forêts primaires, patrimoine biologique unique en Europe plusieurs fois centenaire, disparaissent. Les animaux et en particuliers les grands prédateurs qui habitaient ces forêts sont en net déclin, à cause de la réduction de leur écosystème mais aussi à cause d’une pression considérable de la chasse. Les cervidés sont ainsi en très nette diminution si bien que les loups sont obligés de se rabattre sur les troupeaux d’ovins domestiques ce qui entraîne des tensions avec les bergers, alors qu’il n’y avait aucun problème autrefois.

    

Le prétendu " progrès " est responsable de cette situation : tous les équilibres (naturel, culturel, sociétal) sont rompus, des espaces écologiques uniques et irremplaçables ayant mis des milliers d’années à se stabiliser sont effacés instantanément pour quelques euros en papiers, des traditions locales d’une richesse culturelle inestimable s’étant maintenues depuis la nuit des temps sont oubliées en une seule génération. C’est une attaque contre la biodiversité mais c’est aussi une attaque contre la diversité des cultures.

SOS villages abandonnés :

Nous pensons qu’il est encore possible d’éviter l’effacement total et irréversible d’un mode de vie et d’un patrimoine (naturel et culturel) d’une valeur inestimable, que nous ont laissés intacts nos ancêtres et que nous devons transmettre à nos enfants avec le plus grand soin. 
Nous pensons qu’il est encore possible de faire revivre les villages et leurs traditions, en soutenant ceux qui veulent s’installer à la campagne, dans les montagnes, ceux qui veulent occuper à nouveaux des lieux équilibrés et harmonieux avant que tout soit rasé, exploité, saccagé, perdu. 
Nous avons créé un groupe Facebook franco-roumain pour débattre de tous ces problèmes ensemble dont nous présentons la thématique dans la page accessible par le bouton bleu ci-dessus. 

La mémoire ancestrale censurée, et pas que par les communistes ! 

La production de cette mise en scène par Mirel Iliesiu (en 1970) de poèmes de Lucian Blaga, extraits du "Grand Passage", était interdite sous l'époque communiste jusqu’en 1990. Elle n’a pourtant été diffusée (sous cette forme) qu’une seule fois après (en 1991). Il s’agit d’une méditation sur la vie et la mort dans les traditions païennes du folklore roumain. La musique est interprétée par le Chœur Madrigal sous la direction de Marin Constantin. Les poèmes sont récités par l’acteur Ion Marinescu.